Adieu Education Nationale
Adieu Education Nationale
Il y a 4 ans presque jour pour jour, je devenais professeure des écoles. Des étoiles plein les yeux devant le métier de mes rêves.
J’admire mon innocence à cette époque, car je savais bien que lors de mes premières années, je pouvais être remplaçante dans des endroits plus que bofs, que je pouvais avoir 4 classes à la semaine, qu’on pouvait me parachuter ci et là, mais rien n’y faisait, j’étais plus motivée que jamais.
Les années passent et petit à petit, je comprends. Je comprends que je suis devenue un pion enfermé dans une académie.
Un petit pion minable sur le grand échiquier de l’Education Nationale malgré mon investissement corps et âmes. J’ai compris qu’on ne distinguerait jamais le bon prof du mauvais prof et qu’à la fin, il n’y aurait pas de médailles, pas de mérite, enfin pas plus que si je n’avais rien fait.
J’admire le fait que je pensais que j’allais changer la face du monde, que j’allais sauver chaque élève en difficulté.
Et comme j’ai beaucoup changé d’écoles en 4 ans, j’y pense souvent. Je pense souvent à eux, à leurs petites réussites dans leurs grosses difficultés, à ce qu’ils deviennent, à ce qu’ils vont devenir. Ils font partie de moi maintenant, partout où j'irai, ils m'accompagneront.
J’ai beaucoup pleuré aussi au début, pas à cause de la charge de travail immense, pas à cause des 3 classes à la semaine, pas à cause du comportement des élèves, non. Tout simplement parce que je me suis rendue compte très rapidement que je ne pourrai pas sauver tout le monde si on ne me donnait aucun moyen. Que parfois l’environnement social d’un élève primera toujours sur nos efforts, sur leurs efforts. J’ai compris que ma lutte contre les inégalités était belle, mais vaine.
J’ai donné mon temps, j’ai donné mon coeur à mon metier, à mes élèves, parfois jusqu’à m’y perdre totalement, jusqu’à m’oublier, jusqu’à maltraiter mon propre corps et mon esprit.
Je me suis mise à douter de moi, de mon enseignement, de ce que j'aimais vraiment, de si j'étais faite pour ça.
Puis j'ai compris. J'ai compris que j'étais tombée éperdument amoureuse de l'enseignement mais que je méprisais le système dans lequel j'étais.
Puis je me suis retrouvée à l'aide de spécialistes, j’ai pris du recul et je me suis mise à rêver d’ailleurs un peu plus fort que d'habitude, d’une autre manière d’enseigner, d’un autre système, d’une autre pédagogie. J’ai réveillé mes ambitions, mes rêves enfouis sous la promesse d’un emploi à vie.
Puis un beau matin de décembre, on m'a posé sous les yeux un contrat de 2 ans au Canada, dans le système scolaire québécois. Alors j’ai dit oui, j’ai dit oui avec ferveur comme on dit oui à un mariage sans jamais penser que l’Education Nationale ou plutôt l’Académie de Paris, ne me laisserait jamais partir. J'ai dit oui, même si je sais que l'herbe n'est pas forcément plus verte ailleurs, mais j'en avais besoin.
Je savais bien qu’il existait ce qu’on appelle une disponibilité pour convenances personnelles, c’est à dire la possibilité de partir entre 1 an et 5 ans sans être payée, évidemment, mais en conservant le bénéfice du concours, ce concours pour lequel j’ai tant travaillé.
Dans ce cas là quand je reviendrai, je pourrai toujours enseigner en France. C'est stipulé dans mon contrat que j’aurai le droit à la mobilité, mais non...
Non c’est non, malgré les demandes et les recours, l’Academie refuse mon départ.
Oui, l’Académie de Paris est déficitaire. En discutant avec mes collègues, je me rends compte que certains attendent de partir depuis 10 ans lors de mutation qu’ils n’auront jamais. J’apprends qu’on empêche les gens de partir dans les postes Éducation Nationale à l’étranger et que toutes les disponibilités sont refusées.
Alors c’est ça ? On est prisonnier de notre chère académie. Une belle prison dorée dans laquelle je ne me vois pas croupir.
Rapidement, j'ai du prendre une décision. Certains diront que je suis une gamine pourrie gâtée parce que certains n'ont pas de boulot et ne peuvent pas se permettre ce genre de choses, d'autres diront que je suis courageuse, moi j'estime que c'est dans la prise de risque qu'on évolue, qu'on grandit.
Alors j'ai envoyé des mails, j’ai passé des coups de fil, on me dit de mentir, de faire des faux arrêts de travail, un faux pacs, des faux contrats pour un vrai suivi de conjoint. On me dit ci, on me dit ça pour éviter que je démissionne, on me dit qu'il faut contrer l'Education Nationale avec des magouilles.
Comme si c’était une fatalité, comme si je commettais une faute grave, comme si je n'avais pas le droit de partir. Alors oui le concours est dur, mais si j'ai réussi une fois pourquoi pas deux.
C'est pourquoi, j'ai décidé de ne pas rentrer dans les magouilles et de partir comme je suis venue, honnêtement.
J’ai écrit et signé cette lettre de démission le ventre noué, le doute dans les yeux.
Bientôt elle va voyager, de ma directrice à l’inspectrice, de mon inspectrice au Dasen. Et moi aussi, je vais voyager, loin, ailleurs, en espérant vivre une expérience enrichissante.
Bonjour Montréal, j'arrive !